GABRIELLE FOFANA

 

 

 

 Commande : Mademoiselle Gabrielle FOFANA - 1, allées des Bas Coquarts à 92220 BAGNEUX

 

   

KARTIER GHETTO BANLIEUE

 

 

 

Bagneux-sud témoigne

 

 

Cet ouvrage est dédié aux Balnéolais, aux banlieusards des Zones Urbaines Sensibles, aux petits-enfants des soldats de la 2ième division blindée du Maréchal Leclerc, ainsi qu’à toutes les familles victimes de la guerre et du terrorisme dans le monde.

 

Kartier Ghetto Banlieue, Bagneux-sud

Les banlieues sont méconnues du grand public. Ces lieux sont observés et décrits par les intellectuels. Les journalistes et les écrivains consciencieux ne masquent pas les difficultés et tentent de remettre les choses à leurs justes places.

Malgré cela, les banlieues font trop souvent l’objet d’une publicité offensante à cause de quelques quartiers appelés les Zones Urbaines Sensibles. Ce serait une erreur d’en conclure que tous les banlieusards sont issus de milieux modestes dépourvus d’éducation et qu’ils vivent entassés dans les ghettos délabrés et abandonnés des Services Publics.

La désignation consensuelle de nouveaux " boucs émissaires " de la République ne résoudra pas les problèmes liés à la pauvreté et à la déshumanisation, ni à la drogue et à la délinquance sévissant dans ces zones.

J’invite les lectrices et les lecteurs à découvrir la face cachée des banlieues, en leur proposant un voyage à Bagneux. Les révélations des habitants, des élus des Partis politiques, des associations et Services Publics, des commerçants et artistes, sont autant de témoignages à découvrir dans leur véritable contexte.

G. F.

 

 

PRÉFACE

 

 

J’ai connu, voilà près de quatre ans, Gabrielle Fofana, l’auteur de cet ouvrage, alors qu’elle faisait partie de l’équipe de l’ANPE de Bagneux.

Ces liens professionnels et d’amitié me valent aujourd’hui d’écrire quelques lignes au seuil d’un livre fort mais loyal, où elle tente de saisir dans sa complexité, la vie au quotidien dans les quartiers cosmopolites d’une Zone Urbaine Sensible.

C’est bien là un texte porteur d’espoir, l’espoir de celles et de ceux qui s’y expriment et qui, sans ce livre, étoufferaient leurs cris dans le couloir sans écho de l’anonymat.

 

 

Geneviève Fourcade

 

 

Remerciements

Je remercie madame Janine Jambu, Députée-Maire de Bagneux, et les membres des Partis politiques de la ville, monsieur Alexis Charansonnet, maire-adjoint à la Culture, monsieur Mamadou Diedhiou, conseiller municipal, madame Hélène Corouge, Conseillère Municipale, monsieur Olivier Sueur, conseiller municipal, pour m’avoir confié leurs opinions politiques.

Merci à l’ANPE, madame Claude Gorges, responsable communication IDF, à madame Geneviève Fourcade, monsieur Henri Georges et à l’équipe de l’ALE de Bagneux.

Merci aux partenaires de la Ville, à l’ANPE, madame Geneviève Fourcade, au Comité des Sages, à l’Animation Populaire des Trois Cités, au Club Relais, à la Fontaine Solidarité Chômeurs, à la PAIO, à la Cgt, à la Ligue des Droits de l’Homme, pour avoir collaboré à la construction de ce livre.

Un remerciement spécial aux dessinateurs de BD : Mehdi Boukhezzer (Aleph le Luna) et Guy Michel (Aquilon) pour leurs biographies.

Merci à Jean-Pierre Bordier (dessinateur) pour sa participation aux entrevues.

Toute ma sympathie va aux habitants et aux commerçants de Bagneux : Batouly Sow, Jeannine Gervais, Luis Penedo, Yousri et Mouna Bousseta, Gérard Allain, Malek Ben Nenjma, Mickael Gaïd, restaurant " Il Faro " et Éric Mozin, librairie " Magpresse ", pour leurs témoignages.

Merci aux membres de l’association Artem : Vahéna Menras (comédienne, scénariste), Nathalie Bilbeau (arthérapheute, comédienne), Dalila Djelili (auteur-compositeur), Alain Elio (auteur-compositeur).

Je remercie monsieur Ernest Rougé, des éditions du Paradis, pour avoir accepté d’éditer ces témoignages.

Merci à vous lectrices et lecteurs, pour votre attention.

 

 

Avant-Propos

Chair à concepts, chair à campagnes électorales, les banlieusards des Zones Urbaines Sensibles sont poussés sur le devant de la scène sans qu’on leur donne la parole. Entre la froideur des statistiques sur la délinquance et l’influence de la présentation caricaturale des banlieues, il y a place pour de ces vérités qui surgissent chaque fois que l’on accepte de considérer l’autre comme un individu à part entière. Les banlieusards des Z U S sont des gens comme vous et moi. Avec des problèmes en plus, ceux du chômage et de la marginalité, liés à la conjoncture socioéconomique actuelle.

Cet ouvrage n’est pas un manifeste ni même un plaidoyer. Il n’organise pas savamment des paroles en discours. Il respecte la diversité des voix qui le composent. Ce livre est bâti autour de témoignages. Il s’agit de témoignages d’ordre personnel et collectif, concernant les quartiers sensibles de Bagneux, recueillis auprès d’habitants, d’associations, d’artistes, de politiciens et partenaires de la commune de Bagneux, la ville la plus vaste des Hauts-de-Seine. Ainsi que la plupart des Z U S, Bagneux est appelée " ville-dépotoir " par quelques personnages politiques, étant donné qu’ils y entassent des populations modestes de toutes origines. Aux lectrices et aux lecteurs de dire si ce florilège de témoignages traduit plus qu’un désir de vérité.

Les zones sensibles sont excessivement médiatisées. Aujourd’hui, le public s’imagine qu’au delà des villes s’étendent des territoires dangereux dirigés par des " sauvageons " sans foi ni loi. Le phénomène nous dépasse, il dépasse tout le monde, mais il concerne l’ensemble de la communauté. J’ai été confrontée à ce que, de l’extérieur les Politiques nomment les " points noirs ". J’ai été surprise de la complexité des questions soulevées par le chômage, la délinquance et la drogue, et bien souvent par les réactions des intervenants.

Donner la parole à ceux et à celles que l’on montre du doigt dès qu’un problème de société se présente, ce n’est pas prêter une oreille complaisante à tout ce que les habitants des Z U S peuvent dire. C’est traduire le sentiment des populations vivant en marge de notre société.

La violence du débat actuel sur les mineurs ne doit pas étonner : Il s’y joue une partie essentielle du rapport entre notre société et sa jeunesse. J’espère que les lecteurs et les lectrices, à travers ces témoignages, y percevront l’appel de ceux et de celles qui tentent désespérément de se faire entendre. A force de vivre le problème, nous ne pourrons qu’entrer progressivement dans les solutions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

Chapitre 1

TRANCHES DE VIE

 

 

Des balnéolais d’origines sociales et raciales diverses ont bien voulu raconter pourquoi ils ont élu domicile à Bagneux. Ils évoquent un bout de leurs itinéraires de vie et dévoilent leurs sentiments. Voici quelques confidences.

 

 

  

 

Dans les témoignages, les mots ou membres de phrases en caractère italiques sont commentés dans les textes en caractères étroits et composés sur une justification inférieure.

 

 

 

 

 

1 - Jeannine Gervais.

Il y a des années, j’ai été mutée au Centre de Recherche situé à la croix de Berny (Antony 92) par Rhône-Poulenc. J’ai quitté ma Seine-et-Marne pour trouver un logement proche de mon lieu de travail et je me suis installée à Bagneux. Je suis à la retraite depuis sept ans. C’est parfois difficile financièrement, mais je m’en sors. Je n’ai jamais fait appel aux services sociaux, par contre je me suis plainte plusieurs fois à la municipalité, au sujet du trafic de drogue sévissant dans le parc " F. Mitterrand ". A Bourg-La-Reine, c’est plus sécurisant, les personnes âgées sont respectées et elles ne sont pas autant victimes d’agressions qu’à Bagneux. Si le maire de Bagneux n’interdisait pas à la Police d’agir, et que celle-ci avait plus de moyens – elle dispose de deux voitures pour patrouiller –, les Balnéolais se sentiraient plus en sécurité, ça fait réfléchir. J’ai toujours peur en rentrant chez moi après 22 heures parce que les rues sont mal éclairées. Il y a des types " louches " assis dans des voitures, d’autres qui circulent, et si vous les regardez, ils vous fusillent de leurs yeux.

Tout le monde dit qu’à Bagneux les jeunes font du trafic de drogue. Cet été (2001), j’ai soupçonné un pavillon inhabité et situé dans le parc " F. Mitterrand " d’être un lieu où l’on stockait de la drogue. Autour de la maison, les herbes n’étaient pas tondues par la municipalité et les volets étaient clos. Des petits groupes de trois jeunes y allaient et y venaient. J’ai prévenu la Mairie, mais vous savez... Autre chose, une voiture noire style berline décapotable immatriculée soit dans le Val d’Oise, soit à Paris, circule régulièrement à Bagneux. Cette voiture n’est jamais conduite par les mêmes personnes, mais c’est à chaque fois la même voiture... Il arrive que des motos ouvrent la marche à des véhicules se dirigeant en trombe vers la place du Tertre. Toutes ces manœuvres se passent à des heures bien précises, concordant avec les horaires de sorties de mes chiens.

Quand il n’y aura plus de drogue à Bagneux, on pourra enfin vivre un peu mieux. Les parents ne seront plus angoissés en pensant aux revendeurs de drogue, à chaque fois qu’un enfant naîtra dans la famille. J’aimerais que la Mairie prenne vraiment en main le problème de la drogue. Si on ne les arrête pas, ça veut peut-être dire que beaucoup plus haut, il a des gens qui en profitent.

Dans la commune, il y a des quartiers où vit un mélange de gens, qui, pour la plupart, sont des étrangers. Quand on loge des gens dans un endroit et qu’après on ne s’en occupe plus, les lieux deviennent des ghettos. Si l’on fait venir des étrangers, il faut leur trouver du travail, améliorer leur cadre de vie de manière à ce qu’ils ne deviennent pas délinquants. Il y a des quartiers vides de commerçants, ça fait cités-dortoirs. La Mairie devrait agir et ne pas regrouper les étrangers. Je suis pour la mixité sociale, car nous pouvons tous nous entendre. Si chacun respecte la religion, le parti politique, les idées de tous, nous pouvons vivre en bonne intelligence. J’ai beaucoup d’amis étrangers, nous nous entendons très bien et je n’ai jamais été victime de discrimination raciale. Ce qui ne veut pas dire que j’aurais pu faire ma vie avec un étranger. Il y a trop d’exemples d’échecs dans les mariages mixtes. La manière de vivre est trop différente. Je viens d’une famille de pêcheurs chrétiens très croyants, ma mère est rouennaise, et j’ai été élevée chez les sœurs. Les différents liés aux religions et aux cultures gâchent l’entente du couple. Lorsque le divorce arrive, les femmes doivent se battre pour conserver la garde de leurs enfants, et c’est toujours les enfants qui en pâtissent.

Je suis contre la politique de la Ville, parce que madame Jambu, maire de la commune, fait trop de social. Trop de social, ça tue une ville. C’est ce qui se passe en ce moment à Bagneux, on en a dix fois de trop, et ces gens-là, on les laisse pourrir dans un coin. Avoir 20% de logements sociaux, c’est bien suffisant pour une ville… si on veut s’en occuper. Au-delà, on ne peut plus s’occuper des gens et on les livre à eux-mêmes. Comme ces familles n’ont pas de revenus la plupart du temps, leurs enfants se tournent vers les dealers qui eux gagnent leur vie comme ça, et plus tard, on aura des délinquants et des futurs dealers en plus.

Je ne comprends pas la politique. Au premier tour des élections municipales 2001, j’ai tenu deux bureaux de vote des secteurs 23 et 26 de Bagneux-sud. J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de magouilles, puisque des employées de la Mairie avaient des paquets de cartes d’électeurs qu’elles comptaient, ensuite, je ne sais pas ce qu’elles en ont fait. Au second tour, j’ai tenu le bureau de vote n°3 de Paul Vaillant Couturier. J’ai vu le responsable du bureau de vote mettre dans sa poche la carte d’électeur de la mère d’une jeune fille de couleur. Je ne pense pas qu’il ait pu faire quelque chose car avec d’autres personnes, nous l’avons surveillé. Si madame Jambu a gagné les élections c’est aussi grâce à toutes ces magouilles.

Madame Jambu a du terrain un peu partout à Bagneux et hors de la commune, elle pourrait améliorer le cadre de vie. Il y a beaucoup de choses à faire, entre autres, s’intéresser aux gamins. Il y a des jeux très dangereux dans les aires de jeux du parc " F.Mitterrand " et la sécurité n’en parlons pas. Les jeux sont protégés par des petites portes en bois qui ne sont pas caoutchoutées. Il y a suffisamment d’insécurité pour ne pas en ajouter avec les équipements municipaux.

Les jeunes font n’importe quoi parce que les parents sans d’éducation ne les éduquent pas. Il faudrait rééduquer les parents par des cours du soir pour parents. Si les familles aiment leurs enfants et qu’elles veulent les voir un jour vivre une vie meilleure, il faut qu’elles acceptent d’apprendre à éduquer.

Malgré tout ce qui peut s’y passer, je reste à Bagneux parce que c’est une ville proche de Paris. J’ai encore beaucoup de choses à visiter et à faire dans la capitale, en fait, tout ce je n’ai pas pu faire à l’époque où je travaillais, comme visiter les musées et aller au cinéma.

" …A Bagneux… ". Lorsque vous arrivez dans la ville, vos yeux découvrent de grands ensembles aux allures de termitières gigantesques d’une froideur fascinante. Le tout béton est ornementé de massifs joliment fleuris. Survivants à l’urbanisation, les pavillons éparpillés çà et là, rafraîchissent la vision, tout en ravivant la nostalgie du temps passé. Le centre ville a conservé un aspect de village, de cité historique, c’est pourquoi les Balnéolais le surnomment " le vieux Village ". Dans cette ville d’apparence austère et malgré les difficultés rencontrées, les populations solidaires sont attachées à leurs quartiers. Le nord et le centre, les zones pavillonnaires sont des lieux relativement calmes et agréables. Le sud de la ville est le " point " sensible de Bagneux. Cet ouvrage témoigne de cette partie de la commune. " …Ne pas regrouper les étrangers… ". La société immobilière la SCIC est l’un des logeurs dominant de la commune. La Semaba, les OPHLM, l’immobilière 3F sont propriétaires de logements sociaux dans la ville. La SCIC dispose gratuitement de terrains appartenant à la municipalité, sur lesquels elle possède quatre mille logements sociaux conventionnés. Ces logements de cinq et six pièces sont loués aux familles nombreuses. Au sud de Bagneux, dans les quartiers des Tertres et des Cuverons, l’architecture complexe des bâtisses accessibles par des passerelles donnant sur le deuxième étage et faisant office de rez-de-chaussée, confère à ces bâtiments un aspect de forteresses mystérieuses. Si vous ne connaissez pas les lieux, vous vous perdez rapidement dans un dédale compliqué de mails, de sentiers, de rues-couloirs et d’escaliers. L’unique moyen d’en sortir est de demander son chemin. Des gamins joyeux et colorés courant dans tous les sens et jouant bruyamment vous renseignent, et vous êtes heureux de découvrir que la France n’est pas un pays à la population vieillissante.

" …trafic de drogue… ". Au moment où Jeannine me confia ces propos, elle en avait assez de subir les problèmes liés à la drogue et à l’insécurité. Elle aspire à cette paix qu’elle avait cru trouver en venant habiter à Bagneux. Cette entrevue fut pour elle l’occasion de faire le point. On s’entretient avec une personne que l’on ne connaît pas, qu’il faut émouvoir et même séduire, pour espérer lire un jour son témoignage sur les pages d’un livre. En ce qui concerne sa connaissance du fléau de la drogue à Bagneux, les retraités sont au courant de tout ce qui se passe dans leur quartier et dans celui des autres. Pour les jeunes, ces gens sont des " espions ", les surprenant à chaque fois qu’ils font des bêtises.

"... Je ne comprends pas la politique… ". Jeannine est une militante de Droite. Elle est une fervente admiratrice d’Olivier Sueur, candidat de l’opposition à la Mairie de Bagneux. A l’occasion des élections municipales 2001, elle participa activement à la campagne électorale de monsieur Sueur. Elle a été victime de quelques incivilités, des sirènes faisaient office de messages sur son répondeur, on a tenté de cambrioler chez elle. Jeannine est harcelée par des gens malveillants, mais elle ne se décourage pas pour autant. Elle exprime son courage par son amour des gens. C’est une retraitée dynamique et fidèle à son engagement. Dans notre République, la liberté d’opinion est un droit acquis et respectable.

 

2 - Luis Pénédo.

Mes parents ont immigré d’Espagne en 1960. A notre arrivée, nous avons vécu à cinq dans une pièce à Boulogne. C’était dur, j’avais dix ans et nous étions pauvres. Deux ans plus tard, les Hlm ont accordé un logement à mon père et nous sommes venus à Bagneux. Nous avons trouvé beaucoup de commodités, autant culturelles que sportives dans la commune. J’y ai rencontré ma femme et je m’y suis marié à 20 ans. J’ai accepté un appartement de l’Immobilière 3F parce que ce n’était pas cher et que je connaissais le quartier, et surtout parce que mes parents et mes amis habitaient dans cette ville. Mon point de chute étant Paris pour le travail, nous avons eu cette chance de pouvoir habiter à proximité et de payer un loyer modéré. Depuis, j’ai eu des enfants qui sont grands maintenant.

J’ai plus de cinquante ans et je suis en forme, je n’arriverai pas trop fatigué à la retraite. Je compte rester à Bagneux parce que j’y suis bien, je vais au théâtre, aux expositions, je vais un peu partout, mais je n’y fais pas mes courses. Avant dans mon quartier, il y avait un Monoprix et un Viniprix, un poissonnier, enfin il y avait tous les magasins que l’on trouve dans un centre commercial normal. Aujourd’hui…il y a un Ed discount et un magasin exotique pour l’ensemble de Bagneux-sud. Je vais faire mes courses à Vélizy Si j’avais suffisamment d’argent j’achèterais une maison en Guadeloupe, où j’irais vivre quelques mois par an avec ma femme. Je n’ai plus de racine en Espagne, ma famille est ici et mes parents sont morts à Bagneux.

En attendant la retraite, je travaille. Je suis chemisier de formation. Je fais des chemises sur mesure, du produit de luxe. Mon métier me fait évoluer dans les beaux quartiers et au centre de Paris. J’ai travaillé pour des maisons comme Hermès, la chemise sur mesure étant réservée à une clientèle aisée.

Contrairement à ce que les autres racontent, à Bagneux nous ne sommes pas dans un ghetto, c'est-à-dire un endroit où les gens sont parqués derrière des barrières, pour qu’ils ne s’échappent pas. C’est vrai que lorsqu’un ensemble de Hlm est habité essentiellement par une certaine classe de gens, quoiqu’ils ne soient pas entourés de barrière, ils sont enfermés parce que leur culture est complètement différente et qu’ils sont livrés à eux-mêmes. Se retrouvant seuls, ils fraternisent entre eux, formant une espèce de communauté dans la communauté.

Pour faire une bonne intégration, il faudrait prendre un immigré et le glisser au milieu de cinquante français ; il s’intégrerait automatiquement. On cherche à les aider en les installant dans les Hlm, mais comme ils n’ont pas la culture, ils se fixent eux-mêmes les barrières qui les empêchent d’aller de l’autre côté. Ils ne savent pas, ils n’ont pas le savoir. Si vous savez les choses, vous allez au devant d’elles. Quand vous ne connaissez pas, vous avez peur, donc les gens restent dans le ghetto, chez eux. Il y a la guerre dans leur pays, regardez en Algérie, et le massacre du Ruanda, ça les enferme un peu plus. On devrait organiser des banquets et des pots dans les quartiers, cela briserait cette peur de l’étranger.

Avant, les Portugais, les Espagnols et les Italiens étaient les étrangers de la communauté. Les Français me disaient " Oh ! les Portugais ceci, ou cela… mais pas toi, parce que toi on te connaît ". Ce qui prouve que la connaissance de l’autre est le seul moyen de perdre la peur qu’on éprouve pour ceux qu’on ne connaît pas. C’est vrai que le racisme existe. J’ai eu des amis maghrébins qui, malgré qu’ils soient de race blanche, dès qu’ils prononçaient leurs noms se voyaient refuser des emplois. Personnellement, je n’ai jamais eu de problème raciste. J’ai peut-être été traité comme un inconnu, au début dans mon boulot, il fallait m’accepter parce que j’étais un étranger. Mais lorsque le coupeur s’est aperçu que j’étais un garçon valable, il n’a pas fait de discrimination, il m’a jugé par rapport à mon travail et il m’a appris mon métier. Tout le monde fait plus ou moins du racisme, et on a tous été plus ou moins victimes de discrimination.

Quand les gens vont à un concert ou au théâtre, ils se moquent que la vedette soit noire ou blanche, ils y vont pour la musique, pour la distraction. Le Maghrébin qui est dans son appartement, personne ne va le voir, donc il se cache, il a peur de vous. Quelle forme de communication peut-on trouver ? Est-ce que les gens veulent communiquer ? Il y a des individus qui sont bornés, ils partent du principe qu’ils détiennent la vérité vraie, et vous non. C’est difficile… La bêtise est humaine, elle existe, il faut vivre avec. Par exemple ici, sur les quarante logements, vous avez des gars qui sont racistes, d’autres chauvins, des matérialistes, vous avez toute la panoplie de ce qu’on peut trouver. L’important ce n’est pas de le savoir, mais de bien vivre ensemble. Il y a une manière de bien vivre ensemble. Si vous savez qu’un gars est raciste, ce n’est pas la peine de le forcer à côtoyer un Noir.

En fait, c’est l’ignorance des gens qui est à la base du racisme. C’est cette ignorance qui a toujours été exploitée. Ça remonte à la naissance du temps. La religion catholique s’est bâtie sur l’ignorance des gens, en leur faisant croire qu’il y avait un Dieu qui allait leur faire du mal, et qu’il fallait se comporter comme ci ou comme ça sous peine d’être puni par Dieu. Il y a quatre religions principales : musulmane, juive, chrétienne et bouddhiste. Ces religions sont vieilles de quelques milliers d’années. Si les religions avaient amené la connaissance à l’homme, il n’en serait pas là. Ces religions n’ont pas plus d’adeptes que ça, par rapport aux milliards d’individus de la planète. Aujourd’hui, la religion catholique a un problème parce que les gens ont lu la bible, et qu’ils se sont dit qu’on les prenait pour des imbéciles. A vouloir n'imposer qu’une seule ligne de conduite, vous abrutissez les gens et vous les empêchez d’agir, à l’image des sectes. Les gens ne peuvent pas évoluer normalement. C’est aussi vieux que le monde ; si Dieu avait été infiniment bon, les gens aimeraient Dieu.

Malheureusement, on ne peut pas refaire le monde. Quand je suis arrivé en France, on me disait que " le juif, c’était le diable ", c’est lui qui avait tué le Christ donc c’était le diable. Les Noirs n’étaient pas comme nous et ils étaient cannibales. En Espagne, les religieux nous apprenaient la même chose. Comment voulez-vous que des gens à qui on a appris dès l’enfance que l’autre est toujours le mauvais, comprennent tout à coup et soient gentils avec lui ? Quand un noir débarque en France, c’est dans cette culture-là qu’il rentre. Cette culture a donné un pouvoir colossal à l’Église… Mais il n’y avait pas que du mal dans la religion. Elle a continué l’éducation parentale en nous apportant la morale par les commandements. Ce qui était mal, c’est le système de vous chapeauter et de ne pas vous enseigner. Il y avait une élite qui avait la connaissance et vous, vous étiez là pour travailler et pour qu’ils gagnent leur vie.

La culture religieuse influence tout le monde, mais croire en Dieu, aller à l’Église, c’est du blabla. A 17 ans, je n’aurais peut-être pas parlé comme ça, parce que j’étais bien trop catholique, avec tous les critères imposés contre le Juif, le Noir et le Maghrébin. Fréquenter les Françaises, pour mes parents c’était déjà beaucoup. Aujourd’hui dans ma famille, il y a des Russes, des Polonais et des Français. La vie a fait que j’ai connu des choses, j’ai rencontré des gens, je me suis ouvert au monde, et je me suis posé beaucoup de questions sans jamais avoir les réponses que j’attendais.

Pour revenir à notre commune, ici, ce n’est pas pire qu’ailleurs. Je peux sortir le soir, aller au restaurant, et laisser ma voiture dehors, sans être victime d’agression ou de vandalisme. A Paris 16ième, les gens se font attaquer sur des parkings fermés et surveillés. Ici, il n’y a pas de grand banditisme parce que les gens n’ont pas des grosses fortunes à la maison. C’est vrai qu’il y a les dealers. Mais à partir du moment où vous retranchez les dealers dans un coin, ils sont tranquilles pour faire leurs affaires. Le jour où ils seront ennuyés à Bagneux, ils iront à Cachan, à Fontenay ou ailleurs. La drogue n’est pas liée à une ville, on a entendu ça pour le Val d’Oise, pour Courbevoie, les dealers chassés trouvent toujours un autre endroit pour dealer. 

Cela fait trente ans que j’habite à Bagneux. Au niveau social, la ville est peut-être allée trop loin. En ce qui concerne les Tertres, le gros problème c’est que ça va être détruit et reconstruit deux fois plus cher. Moi, je ne l’aurai pas fait. Si on détruit la barre pour améliorer le cadre de vie, c’est bien. Mais si c’est pour faire des combines d’argent derrière, – et c’est presque obligatoire en région parisienne –, on va expatrier les gens un peu plus loin, on va les mettre dans une autre commune, et on va recréer un ghetto ailleurs.

Aujourd’hui on est gouverné par le Dieu " Pognon ", si vous avez de l’argent vous êtes vénéré. Vous, vous avez peur de rentrer à votre domicile parce que vous devez une contravention de 70 €, mais Tapie lui, il balance des milliards… et on s’aperçoit que le " mec " a quand même son château, sa maison. Et l’histoire de Pasqua et de Elf, comment voulez-vous qu’un jeune qui va piquer un autoradio pour payer sa came ou un vélo soit culpabilisé, alors que ces gars-là ont détourné des centaines de millions ?

" …autant culturelles que sportives… ". Pour améliorer la vie locale, défendre leurs droits, développer la Culture et l’éducation, les populations se regroupent en associations. Deux cent quatre vingt-huit associations composent le tissu associatif balnéolais. Bagneux est l’une des communes culturelles prépondérantes des Hauts-de-Seine.

"… Ils sont enfermés parce que leur culture est complètement différente… ". Il est permis de penser que les différences culturelles empêchent la communication. Néanmoins, les communautés ghettoïsées ne se créent pas de barrières intellectuelles, elles ne s’enferment pas volontairement. Sans moyens financiers et éducatifs, elles ne peuvent aller de l’avant et s’initier à autre chose qu’à la vie entre membres de la communauté, imposée par la ghettoïsation. " …J’étais bien trop catholique… " l’homme évolue, l’intellectualisme religieux est trop décalé des réalités pratiques de la vie courante. Une multitude d’innocents – ciblés parmi les populations – sont morts au nom d’une religion, dans les croisades, à la St Barthélemy, au nom du djihad islamique ou de la laïcité. De tous temps, les mouvements religieux et anti-religieux ont été des machines de guerre politiques terrorisant les populations.

" …Ici, il n’y a pas de grand banditisme… ". A Bagneux, la sécurité des foyers n’est pas aussi effective que Luis le raconte plus haut. En période électorale, les quartiers n’échappent pas au vandalisme ni aux incendies criminels. C’est beaucoup plus grave que de se faire voler son autoradio ! Quelques jours après notre entretien, les habitants du quartier des bas Coquarts furent réveillés à l’aube par les sirènes des pompiers, car un incendie ravageait la gaine technique des vide-ordures de l’immeuble de Luis. Par chance, il n’y a pas eu de victime. La vétusté des systèmes de sécurité incendie, l’accès non protégé des équipements et la malveillance liée au fanatisme politique, au racisme, à l’alcoolisme, à l’inconscience, tous ces paramètres génèrent les incendies qui sévissent en banlieue.

" …C’est vrai qu’il y a les dealers… ".

Dans la plupart des quartiers de Bagneux, et plus particulièrement dans le secteur sud des cités des Blagis, des Cuverons, des Tertres et de l’abbé Grégoire, le problème majeur est la drogue. Les victimes d’échecs scolaires et les privés d’emploi sont exposés aux métiers de la rue. La pauvreté fait que le pas est vite franchi. Le voisin dealer vous dira qu’il se moque d’être illettré et de ne pas avoir trouvé d’emploi, parce que travailler pour le Smic toute sa vie ne l’intéresse pas. Il peut gagner plus de 3000 € par jour en vendant de la drogue. C’est désolant de voir des jeunes abandonnés à leur sort, plonger dans la marginalité, parce qu’ils n’ont parfois pas d’autre choix pour se nourrir et se loger.

 

3 - Mikaël Gaïd

Je vais vous dire pourquoi les enfants africains sont toujours dehors. Dans les pays méditerranéens, en Afrique, les enfants sont dehors autour de la maison. Ça n’inquiète pas les parents que les enfants soient à l’extérieur. Si les gamins vont dans la brousse – avec tous les dangers que cela comporte – les parents n’ont pas peur, ils savent que l’enfant va se débrouiller. Les enfants n’aiment pas être enfermés. Dans les pays autour de la Méditerranée, le soir on met quelques chaises dehors et on discute, on prend un verre entre voisins.

J’avais un petit restaurant à Bourg la Reine, je l’ai vendu et je suis venu m’installer à Bagneux. Mon restaurant est très bien situé et les enfants respectent l’endroit. Je veux en faire un lieu convivial, avec terrasse à l’extérieur et bonne nourriture à la carte. J’ai eu beaucoup de problèmes administratifs pour ouvrir l’établissement, j’en ai perdu ma licence IV à Bourg la Reine… Quelques habitants ont été étonnés qu’il n’y ait pas de porte blindée à l’entrée de mon restaurant. Pourquoi donnerais-je l’impression aux gens que je veux m’isoler dans le quartier où je vis, et que j’ai peur d’eux en quelque sorte ? 

J’aimerais que les gens fassent l’effort de donner " un coup de pouce " pour améliorer leur quartier. Quelques Balnéolais passent manger au restaurant par curiosité et pour déguster un plat. Ces gens se demandent combien de temps on tiendra, et quand serons-nous obligés de fermer les portes ? Pour moi, les Balnéolais sont responsables de leur commune et du maintien de la vie commerçante. Ce ne sont pas les gens d’ailleurs qui ont fait leur publicité, c’est eux-mêmes qui ont dressé les barrières. Si on dit : qu’est-ce qui se passe à Bagneux ? il y a une agression ? Soit, mais pendant ce temps combien y a-t-il d’agressions à Paris ?

Il faut animer le quartier avec des magasins. Il n’y en a pas parce que les jeunes des cités font peur aux commerçants. Les jeunes Noirs africains rejetés par les boutiquiers les provoquent, les insultent et les menacent. On ne peut pas changer sa couleur de peau.

Si l’on n’est pas capable d’ouvrir une porte des deux côtés et pour tout le monde, si l’on n’a pas l’intelligence de travailler avec ces gens-là, il faut quitter le quartier. Parfois, quand il y a plein de monde dans le restaurant et que des jeunes viennent acheter des pizzas à emporter, assis aux tables, les gens les regardent d’un air pas rassuré. Naturellement ce n’est pas une bonne image pour le restaurant, car les gens pensent tout de suite à la drogue et au vol. Les jeunes du quartier sont des clients comme les autres, je ne veux pas les empêcher de venir manger dans mon restaurant, et en même temps je ne peux pas empêcher les clients de penser.

" …pas de porte blindée… ". Parmi les jeunes et les mineurs délinquants, il y a les jeunes auteurs de vol à main armée surnommés les " braqueurs ". Les enfants sont sollicités par leurs aînés, moyennant finance, pour faire le guet à l’extérieur durant le déroulement du braquage. Quant aux cambriolages, les cambrioleurs introduisent les enfants par la conduite d’aération d’un bâtiment. Les gamins ont pour rôle d’ouvrir fenêtres et portes de l’intérieur, et ainsi faciliter l’accès du lieu à cambrioler par les grands.

" …Les jeunes Noirs africains rejetés par les boutiquiers… "

Mikaël est égyptien de confession chrétienne copte. Il a été très courageux en s’installant à Bagneux-sud. Lorsqu’il parle de commerçants durs avec les enfants d’origine africaine noire, il parle de quelques européens qui tiennent des magasins. Les gosses sont victimes de mépris qu’ils savent rendre… Les commerçants franchement racistes ne s’en cachent pas. En contrepartie, les gosses investissent les magasins en bandes pour y voler des marchandises, déjouant les systèmes de vidéosurveillance. Il est déplorable qu’à notre époque les commerçants se fassent braquer, tirer dessus et cambrioler.

" …Il faut animer le quartier avec des magasins… " Je ne pense pas que la peur éprouvée par les commerçants pour les jeunes délinquants soit responsable du manque de vie à Bagneux. Il n’y a pas de commerce dans la commune parce que les populations aux faibles revenus ne constituent pas une éventuelle clientèle.

 

4 - Malek Ben Nejma

Je suis d’origine tunisienne tandis que ma femme est d’origine algérienne. Nous sommes tous deux de confession musulmane. L’Islam régit toute notre vie, que ce soit dans nos rapports aux autres, dans notre relation de couple, dans l’éducation de nos futurs enfants….C’est toute une philosophie de la vie, c’est toute une façon de concevoir notre existence en ce bas monde. Ma femme et moi, nous cherchions un logement pour vivre ensemble, et l’immobilière 3F nous a proposé un appartement dans le quartier des bas Coquarts à Bagneux. Bien qu’il ne s’agisse que de deux pièces, et que l’immeuble semble très ancien, nous trouvions l’environnement plutôt propre et le quartier assez calme en comparaison de ce que nous connaissions auparavant. C’est pourquoi nous sommes restés, satisfaits d’habiter près de Bourg-La-Reine, une ville plutôt calme et agréable à vivre.

Malgré tout, il y a des quartiers proches du nôtre qui sont moins sécurisants. Il suffit de faire quelques mètres pour se retrouver en plein cœur de la cité où des jeunes expriment une certaine agressivité envers les figures de l’autorité, peut-être parce que c’est le seul moyen pour eux d’exprimer un certain malaise. Sincèrement, quand une bande de jeunes fait un peu de " remue-ménage " dans le coin, je ne vois pas la police intervenir pour rétablir l’ordre. C’est à se demander si les services de police ne viennent pas volontairement dans ces quartiers, craignant d’éventuelles représailles de ces jeunes. A ma connaissance, nous n’avons pas ce genre de squatters dans notre immeuble. En revanche, nous sommes victimes de vols et d’agressions gratuites ; quelqu’un m’a cassé une fois le rétro de ma voiture et une autre personne a volé la paire d’essuie-glaces !

On vous a dit " Bagneux, plaque tournante de la drogue " ? ! C’est inquiétant d’entendre cela ! Vous savez, je travaille beaucoup ce qui fait que je connais très peu Bagneux, et cette réputation est peut-être surfaite. Cela n’a rien de sécurisant de penser que de la drogue pourrait circuler sous nos yeux et sous le nez de nos enfants ! Sincèrement, je n’aimerais pas que mes enfants grandissent dans un tel environnement.

Je travaille comme ingénieur en informatique dans une SSII (société de services en ingénierie informatique), ce qui nous permet de subvenir à nos besoins, ma femme ne travaillant toujours pas. En effet, elle a terminé des études de psychologue il y a un an, mais n’a toujours pas trouvé d’emploi. Quoiqu’elle consulte tous les jours les offres Internet et qu’elle se rende une fois par semaine à l’agence de l’emploi, elle ne trouve pas de poste pour elle et l’ANPE ne lui propose jamais rien. Elle est vraiment livrée à elle-même, après 6 ans d’études universitaires elle songe à une reconversion, c’est désolant.

Pour ce qui est de la discrimination raciale à l’embauche, peut-être qu’un emploi me fut refusé pour ma couleur de peau, cela je ne le saurai jamais, mais je n’ai jamais été agressé ouvertement… Il est vrai que lorsqu’on grandit en banlieue, on ne dispose pas des mêmes ressources pour réussir une carrière professionnelle, mais à force de travail et de volonté, on peut tout à fait y arriver ! Vivre en Hlm n’est pas une condamnation en soi ! Il y a peut-être plus de barrières à franchir mais cela n’est pas impossible. C’est pourquoi je n’aime pas le terme " ghetto ", qui pour moi a un sens négatif car il évoquerait un lieu où l’on entasserait des personnes démunies, sans ressources et sans avenir. La cité n’est pas un ghetto. Certes, beaucoup de gens sont dans des situations précaires, mais la cité ce n’est pas que cela, elle représente aussi un mélange de cultures et de races, ce qui est source d’enrichissement. Bien souvent, l’autre nous fait peur par sa différence et nous n’osons pas aller au devant des barrières pour partir à sa rencontre. 

Nous pourrions créer une " Maison pour Tous ", comme il en existe dans d’autres villes, pour permettre gracieusement à tous les citoyens de Bagneux de participer à des activités artistiques, culturelles, intellectuelles et ludiques.

Ma femme et moi, nous regrettons de quitter notre quartier : La taille de notre appartement est idéale pour un couple, mais nous souhaitons fonder une famille. Nous allons devoir chercher un appartement plus grand, au risque de nous retrouver dans un quartier moins tranquille.

"…L’Islam régit toute notre vie… ". Depuis les attentats du 11 novembre aux USA, les musulmans sont chahutés voire malmenés par quelques citoyens incompréhensifs entretenant une confusion entre le terrorisme religieux et l’Islam. Une page perso d’AOL diffusée sur Internet sous le pseudo " Halte aux bougnouls.com ", invita les Français à se réunir et s’organiser à Sallaumines pour faire exploser tous les pays se terminant en AN… Ce fut l’occasion pour les jeunes " beurs " et français de s’insulter – je vous fais grâce des injures – cachés derrière leurs pseudonymes, déversant haine et racisme dans l’anonymat des salons de discussion Internet. Quelque chose a changé dans les cités en banlieue, les Algériens sont soucieux de leur sécurité, les gens de couleur sont pris entre deux feux et certains Français et Européens manquent parfois de civilité avec les personnes d’origine étrangère. En dépit de la tension, les vrais citoyens se veulent rassurants et solidaires, ils font la différence entre terrorisme, race et religion. Néanmoins, les Français ne sont pas à blâmer, alors que l’immigration est un dossier injustement collé à celui de l’insécurité et qu’il est mis en avant par les politiciens.

" …Nous n’avons pas ce genre de squatters… ". Malek ne voit pas la délinquance dans son quartier parce que, d’une part, il n’y rentre que tard le soir et, d’autre part, il demeure au sixième étage. En règle générale, quand un immeuble est squatté par des jeunes dealers, les transactions s’effectuent sur les parkings, dans les caves, dans l’entrée et au dernier étage des immeubles.

" …elle ne trouve pas de poste pour elle… " A quoi cela sert-il d’avoir des diplômes, puisque les psychologues ne trouvent pas d’emploi ? Après avoir sacrifié aux études, l’épouse de Malek est au chômage, mais elle n’abandonne pas. Pour réussir, elle est prête à changer ses projets d’avenir. Cependant, les jeunes délinquants et les femmes esseulées ne sont pas encadrés par des psychologues. Des éducateurs, des médecins, des assistantes sociales établissent des diagnostics et prescrivent des mesures manquant de cohérence, ce qui justifie l’inefficacité des centres de prévention et d’insertion. Un nombre conséquent de psychologues dans le milieu préventif, favoriserait la prévention et l’insertion.

5 - Batouly Sow.

Comme beaucoup de jeunes français originaires d’Afrique, je connais l’histoire de l’Afrique dans ses grandes lignes. Je ne possède pas tous les éléments de l’histoire de ce continent, et ne serais pas étonnée que les Français de souche en sachent plus long que moi sur le sujet. Je suis originaire d’une tribu Peuhle de Kayes au Mali. Je suis née, j’ai grandi et j’ai étudié en France. Je suis à la fois Française et Peuhle et je connais la langue et les coutumes de mon pays d’origine et de mon pays de naissance.

J’aime mon pays de naissance, mais la vie me rappelle que je viens d’ailleurs. Les Français ne m’ont pas réellement acceptée comme l’une des leurs. J’ai pour ambition de gérer une agence immobilière. Je travaille dans l’une des agences de la SCIC, pour acquérir l’expérience nécessaire à l’accomplissement de mon projet. Au bureau, j’ai le sentiment d’être décalée par rapport à mes collègues. Je ne les sens pas proches de moi. Bien que je possède les mêmes diplômes et acquis que mes confrères, ceux-ci sont méfiants à cause de ma double culture, allant parfois jusqu’à douter de ma compétence professionnelle.

Il existe une forme de racisme sélectif dans le milieu de l’immobilier. L’attribution d’un logement est effectuée selon des critères. Une personne de couleur ou maghrébine trouve difficilement un logement. Mes collègues sont remplis d’a priori, lorsqu’il s’agit de louer à des Français d’origine immigrée. Ils ont peur de la dégradation et du manque de civisme.

L’intégration doit se faire dans les deux sens. Les Français à double culture aspirent à être logés sans que la couleur de leur peau ou de leur religion ne devienne un handicap ou l’interdise. Évidemment, vivre dans une Zone Urbaine Sensible ne fait pas bonne impression. Mettre tous les Africains et tous les Maghrébins dans un secteur, c’est dire que " nous sommes des sauvages, et que nous ne sommes bons qu’à vivre ensemble ". Les Français issus de l’immigration sont considérés comme asociaux, parce qu’ils n’ont pas d’autre choix que de rester dans la cité où la délinquance est déjà bien installée. Les familles africaines ne peuvent plus sortir de ces quartiers, parce que les bailleurs n’acceptent pas de les loger. Tandis que les jeunes européens n’y restent pas parce que les parents auront trouvé à se loger ailleurs.

Le fait de ne pas se sentir intégré aux autres éveille la susceptibilité et détériore la communication. On finit par douter de tous et de tout. Les femmes actives arabes n’osent pas sortir en djellaba, elles portent de longues jupes. Les femmes africaines délaissent le boubou en faveur du pantalon. La femme immigrée n’ose pas mettre une robe fleurie ou très colorée de peur de faire trop typée ou trop africaine, et dans ce cas pas assez intégrée. Faut-il comprendre qu’être intégré c’est avoir repoussé sa culture ?

J’espère un jour retourner au Mali, pour contribuer à la reconstruction économique de mon pays d’origine. C’est un espoir à long terme. Au cours de mes séjours là-bas, j’ai constaté que le problème de fond est la corruption. Il est difficile d’envisager de faire quoi que ce soit tant il faut sortir d’argent. Un pays ne peut pas se développer économiquement avec autant de corruption. Si aujourd’hui les Africains sont pauvres dans une Afrique abondant de richesses, c’est à cause de la répartition sélective et abusive des biens. En dépit de cela, la communauté malienne est active. Elle construit des maisons et des mosquées au Mali et elle collecte pour le pays. Avec le temps et la motivation des Maliens, la situation ira en s’améliorant.

 

" …Kayes… ". Batouly me confia que 90% des Maliens résidants en France sont originaires du village de Kayes au Mali. C’est dans ce même village que les réserves de la Banque de France furent mises à l’abri au cours de la guerre mondiale de 39/45.

" …asociaux… ". Lorsque les enfants traînent dans la rue et qu’ils sont mêlés ou non à des histoires, ou qu’ils participent ou non à des actes répréhensibles, c’est parce que les familles ne sont pas organisées, et qu’elles ne se fréquentent pas. Il arrive trop souvent qu’un adulte n’ose pas interpeller un gamin parce qu’il ne le connaît pas.

Les associations cosmopolites créées pour aider les familles, regroupent la majorité des ressortissants d’un même pays. Ce manque d’ouverture aux autres isole certains foyers confrontés à de gros problèmes, qu’ils soient administratifs, juridiques ou sociaux. Ces mêmes foyers sont rapprochés aux services sociaux. Parce qu’ils ne sont pas encadrés, et qu’ils sont exposés aux dangers de la rue, les enfants des banlieues sensibles sont victimes de l’incivisme, de la délinquance et du racisme. Ils sont accusés de terroriser, de tuer, de dealer, de voler, de racketter, et de violer en réunion. On découvre que des enfants équilibrés et sans problème participent aussi à des viols en réunion. Le viol peut avoir lieu dans la cour d’une école primaire, et être commis par des acteurs âgés de huit à douze ans, aux dépends d’une victime âgée de neuf ans. Le plus choquant c’est que des ados de 12 ans vous diront que faire l’amour en groupe c’est banal, et que dans les films pornos, ça ne s’appelle pas un viol…

" …vivre dans une Zone Urbaine Sensible ne fait pas bonne impression… ". A plus forte raison si dans les émissions de télévision à grande audience comme le " Bigdil "sur TF1, Lagaffe propose un séjour à Sarcelles - pour rigoler -, en publicisant le voyage avec les images d’un quartier " ghetto ", que les Sarcellois ont qualifiées d’humiliantes et caricaturales, cassant en deux minutes tout le travail qui est fait pour changer ce vilain " portrait " des banlieues. Médiatiser les ghettos d’une commune condamne l’ensemble de cette commune.

" …Les familles africaines… ". A Bagneux, des familles européennes et maghrébines du quartier de l’abbé Grégoire se plaignent des foyers africains noirs. " Depuis qu’ils sont arrivés, nous sommes envahis de cafards, et des odeurs nauséabondes flottent dans les escaliers ". Les cités urbaines de France sont envahies de cafards depuis des lustres. Il y a quelques siècles, ces bestioles furent ramenées des Indes avec les cargaisons des navires marchands. Dans les villages d’Afrique, en dehors des nuisibles, les insectes circulent librement. Les cafards se nourrissent de moustiques, de mouches et de déchets. Au coucher, les insectes sont " balayés " à l’extérieur, hors des maisons. Ce qui explique pourquoi les familles africaines fraîchement débarquées en France, laissent courir les cafards dans les appartements. La plupart du temps, les logements " infectés " de cafards échappent à la désinsectisation parce que leurs occupants sont absents, qu’ils ne veulent pas laisser leurs clefs au gardien ou parce qu’ils n’ouvrent pas la porte aux entreprises. Les bailleurs menacent les foyers qui ne prennent pas leurs dispositions lors des désinsectisations bisannuelles, mais comment voulez-vous faire payer ce service à un locataire alors qu’à la base, la prolifération des cafards est due au manque d’hygiène des bâtiments et des quartiers.

Les condiments parfumant la cuisine africaine dégagent une odeur épicée tenace. En France, les amateurs d’exotisme raffolent de ces odeurs. Mais chacun ses goûts, nous sommes libres de les apprécier.

 

 

 

 

Après la famille et précédant la police, les éducateurs sont les interlocuteurs des délinquants

 

Chapitre 2

LE CLUB RELAIS

 

 

 

 

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